De Gérard Shmuel Feldman
Ce livre est d'abord le livre d'amour d'un petit-fils pour sa grand-mềre. Chacun peut
aisément le ressentir, tant son écriture est simple, limpide, touchante.
Évidemment ce n'est pas n'importe quelle grand-mère, et ce n'est pas n'importe quel petit-fils. Le petit-fils, Robert Badinter, a marqué l'histoire de France, notamment par son combat gagné contre la peine de mort. La grand-mère serait restée inconnue si elle n'avait contribué à former ce petit-fils, tel qu'il est devenu.
Leurs histoires particulières rencontrent la grande histoire. Celle du judaïsme et de ses relations compliquées avec les nations. Ici c'est l'histoire d'une famille venue de Roumanie qui a d’abord su saisir les possibilités offertes par l’Émancipation comme beaucoup d'autres, venues d'Europe de l'Est pour fuir la misère et les persécutions.
Ces familles cherchaient naturellement à s'évader de leurs lieux de naissance maudits. Mais ce n’était pas qu'une fuite, ils partaient aussi à a poursuite de leurs rêves.
Dans le premier quart du XXème siècle, trois possibilités s'offraient à eux :
– le rêve américain pour certains, européen pour d'autres : “Berlin, Londres, Vienne, Amsterdam et aussi Paris, foyer de liberté, ville de savoir et de culture dans lesquelles leurs fils pourraient un jour s'illustrer” écrit Robert Badinter.
– le rêve sioniste qui “agitait nombre de consciences juives”.
– le rêve révolutionnaire communiste qui était censé hâter la venu de temps meilleurs pour les Juifs, mais aussi pour tous les autres.
Pour Simon Badinter, le père de Robert, “en demandant sa naturalisation en 1927, il avait choisi la France et plus précisément la République française”. S'il sympathisait avec le sionisme en soutenant financièrement ses associations, il n'envisageait aucunement de se rendre dans la Palestine d'alors sous mandat britannique.
Choisir la République, c'était non seulement choisir la France mais la liberté et la justice, dans un pays qui avait été capable de revenir sur l'injustice faite au capitaine Dreyfus.
Son choix était donc fait, et ce fut celui de toute sa famille. Il recherchait l'assimilation totale au point de ne plus vouloir parler yiddish, mais français à la maison. Durant la première guerre, le grand-père Shulim, déjà âgé, voulut même s'engager pour la France durant la Première Guerre mondiale mais en fut empêché par le Conseil de Révision…Robert Badinter partage totalement ce choix. Il voit dans M. Martin, l'instituteur de sa mère Charlotte (ex-Chiffra), l'incarnation même de cette possibilité d'assimiler tous les enfants immigrés. Cette volonté d'assimilation poussa Simon à faire inscrire toute sa famille sur le registre du “fichier juif” à la Préfecture de Police dès septembre 1940. Il voulait se conformer à la loi, quelle qu'elle soit.
Mais ce qui était possible pour les parents Badinter l'était beaucoup moins pour la grand-mère Idiss qui, analphabète, ne pouvait changer aussi facilement sa langue maternelle. “Pour elle son foyer était celui de ses enfants”, et sa patrie, la ville où elle vivait avec eux.”. Heureusement pour elle, le Yiddishland persistait et c'est ce qui lui permettait de se sentir à l'aise à Paris. Elle incarnait la persistance d'une étrangeté juive dans une famille qui se voulait complètement française. Elle n'était pas seule.
Robert Badinter note combien les mères juives redoutait les mariages “mixtes”. L'hostilité des Juifs français de longue date vis-à-vis de cette immigration venue de l'Est fut aussi un obstacle à leur assimilation. .
Mais ce livre, si passionnément français, se termine sur une note dramatique. Il rappelle la mémoire de son père, Simon Badinter, de la la mère de son père, Schindler Badinter, et de Naftul Rosenberg son oncle, assassinés à Sobibor et à Auschwitz pour les deux derniers. Idiss meurt de maladie en pleine Shoah, le 17 avril 1942.
On comprendra que le livre se termine par le mot “malheur”. On peut y voir une allusion au célèbre cri du poète juif allemand du XIXème siècle : “le judaïsme n'est pas une religion, c'est un malheur!”.
Peut-on y voir aussi un doute sur le bien fondé d'une totale assimilation ? Le tout dernier chapitre conclut sur “Le droit antisémite et xénophobe en France pendant la Seconde Guerre mondiale “ découpé en deux parties : le gouvernement de Vichy et les mesures allemandes. Pas de quoi susciter l'espoir.
Pourtant la vie d'Idiss se termine par un acte de courage, en cohérence avec le courage dont elle aura fait preuve toute sa vie. En pleine occupation, sa grand-mère eut droit à un véritable, bien que furtif, enterrement juif avec rabbin et kaddish.
Dans les pires des circonstances, malgré la mort omniprésente, malgré l'assimilation, le peuple juif reste חי (‘ha), toujours vivant.
Un beau livre, utile à lire dans les écoles, pour perpétuer la mémoire.