Billet d’humeur

Retour sur le colloque 2024
De Cécile Dray
« Nous avons assisté au colloque ce jour sur le thème  de l'antisémitisme. 
Je vous adresse ce retour car je suis concernée par la question des rapports humains et de la violence que les hommes instaurent entre eux et parce-que j'ai bien envie de 
partager avec vous ma position qui ne se retrouve pas du tout dans les discours entendus aujourd'hui.
La qualité des différents intervenants était inégale et nous avons été déçus par des propos d'ordre religieux qui n'étaient pas pertinents et qui ressemblaient à un abus du 
pouvoir que donne un micro.
Un autre « discours »  , sous la forme d'un show, au contenu parfois grossier a contaminé le public par sa forme hystérisée et n'a pas apporté de quoi faire avancer les mentalités.
C'est dans ce domaine que j'aimerais poser le problème de l'antisémitisme. Non plus dans le rappel incessant des actes antisémites et de l'histoire des juifs dans le monde,ce qui est essentiel mais en vue de se décaler des habitudes de pensées et d'émotions pour entrer dans une autre lecture qui s'appuie sur une analyse sincère et 
honnête de l'histoire mentale des juifs depuis la nuit des temps .
Pour cela il faudrait des historiens non juifs ou juifs athées, des sociologues, des psychanalystes et des philosophes. Nous avons eu l'occasion d'écouter une conférence de Francis Wolff, philosophe juif et athée qui propose un point de vue hautement humaniste sur l'avenir des hommes, dans une recherche éthique sur l'égalité et la réciprocité entre les hommes.
C'est une position totalement opposée à celles que nous avons entendues aujourd'hui mais elle a le mérite de faire évoluer les pensées et peut-être d'en modifier les stéréotypes .
L'objectif serait d'accepter de lâcher les certitudes qui placent le peuple juif en supériorité, ou bien d'essayer de comprendre en quoi cette position pourrait générer la haine des autres.
Je considère essentiel de pouvoir aborder cet aspect pour comprendre les haines autrement.
Je comprendrais que vous ne soyez pas intéressées par mon propos mais je tenais ce soir à vous faire part de mon approche, que je pense partager avec un  grand nombre de juifs.
Je vous remercie de m'avoir lue »
Cécile Dray
Droit de réponse 
De Gérard Shmouel Feldman
Je me permets de tenter une réponse à votre lettre. Vous posez des questions essentielles, je dirai même existentielles. .

Je commencerai par la fin de votre courrier car elle détermine tout le reste.

Vous écrivez : “L'objectif serait d'accepter de lâcher les certitudes qui placent le peuple juif en supériorité, ou bien d'essayer de comprendre en quoi cette position pourrait générer la haine des autres.” (c'est moi, bien sûr, qui souligne).

L'idée que les Juifs, et avant eux les Hébreux, se prennent pour un peuple supérieur et provoquent ainsi la haine des autres n'est vraiment pas nouvelle. On la retrouve chez les païens de l'antiquité, elle est reprise dans l'Evangile de Matthieu ( 5,43): Vous avez entendu qu'il a été dit (sous entendu par les Juifs) “Aime ton compagnon et hais ton ennemi. ).

On la retrouve encore chez Spinoza, un des fondateurs des “Lumières” dans son “Traité Théologico politique”au chapitre 3. Et aujourd’hui encore, chez des contemporains comme Onfray et bien d'autres. Il serait impossible de citer tous les auteurs qui ont repris ce “lieu commun” tellement il a été usité sans jamais s'user.

Le drame c'est que cette opinion a justifié des siècles et des siècles de persécutions.

Finalement les bourreaux ne seraient pas responsables de leurs crimes puisque ce sont les Juifs qui provoquent la haine qu'ils subissent ! Comment dire cela après Auschwitz et tout récemment après le pogrom géant du 7 octobre en Israël ?

Non seulement cette posture a permis l'impensable, mais elle est radicalement fausse. Il suffit de prendre la peine de lire les textes Juifs eux-mêmes.

Tout d'abord la Torah interdit de haïr son frère (Sidra kedochim 19,17 dans le Livre Vayicra – Lévitique) : לֹאתִשְׂנָא אֶתאָחִיךָ, בִּלְבָבֶךָ (traduction : « ne hais pas ton frère dans ton coeur« ). Le contraire de ce qu'en dit Matthieu. Les antisémites répondront qu'il s'agit uniquement des frères Juifs qui seraient concernés. C'est encore faux. Le mot frère en hébreu s'étend largement à toute l'humanité, au moins celle qui se sent concernée par les lois noa'hiques (les sept lois demandées à Noé). Le mot « frère » concerne aussi bien des personnages qui ne font pas partie de la branche hébraïque, et même les Egyptiens qui peuvent rejoindre l'Assemblée d'Israël. Certes les lois Juives ne concernent que les Juifs dans la Torah. Mais c'est tout simplement parce qu'ils sont les seuls à les accepter. Elles sont juives, mais ont valeur d'exemple pour tous les autres peuples. Y compris la fraternité.

Ceux que les Hébreux, puis les Juifs combattent, ce sont les antisémites personnifiés par Amaleq (Exode, Shemot) ou Aman ( Livre d'Esther) dans la Bible hébraïque. Ceux sont aussi ceux qui font des sacrifices humains, y compris d'enfants pour plaire à leurs idoles (les Cananéens par exemple). Même si ce ne sont pas des enfants Hébreux, les Hébreux stygmatisent cette pratique.

Est-ce que les Juifs se croient supérieurs ?

Nos textes disent tout le contraire ! C'est parce qu’ils sont petits et esclaves en Egypte qu'ils sont choisis comme peuple particulier par la Transcendance. Le Deutéronome 7,7 (devarim en hébreu) le dit explicitement : “Si l’Éternel vous a préférés, vous a distingués, ce n’est pas que vous soyez plus nombreux que les autres peuples, car vous êtes le moindre de tous” (traduction Zadoc Kahn – Rabbinat).

Ils ont été choisis parce qu'ils étaient en esclavage en Egypte, soumis aux corvées les plus dures, incapables de constituer un Empire opprimant les autres peuples. De par leur situation d'opprimés, les Hébreux ont été choisis pour proclamer les valeurs de liberté contre l'esclavage, de l'égalité devant la Loi quand il n'y avait pour eux ni Loi, ni égalité, et de fraternité envers les faibles quand ils étaient sans défense.

Personne avant eux, aucun peuple, aucun dirigeant, n'a défendu ces valeurs auxquelles vous semblez, à juste titre, beaucoup tenir. C'est pourquoi cette infériorité les a placés à l'avant-garde de l'humanité et c'est pourquoi l'humanité les a persécutés en faisant croire qu'ils se voulaient “supérieurs”. Tout simplement parce que l'humanité gouvernée par ses Empires préférait le droit du plus fort. Tout simplement parce que les Juifs défendaient des valeurs, qui, elles, étaient effectivement supérieures. Et ces valeurs supérieures n’ont pas rendu les Juifs supérieurs pour autant. La Bible hébraïque est la plus grande critique du comportement des Hébreux et des Juifs. Ils ne sont pas souvent à la hauteur de leur tâche. Le veau d’or en est l’exemple le plus connu, mais il y en a plein d’autres.

Je ne sais si je vous ai convaincue, mais au moins j'espère vous avoir montré l'inanité de l'opposition entre “religieux” et “philosophes”. Les philosophes même les plus “athées” trouvent toujours leurs sources dans la littérature dite “religieuse” qui a fondé la culture. Et quand il s'agit des textes Juifs cette opposition est encore plus inapte, puisque ce sont ces textes qui sont à l'origine des “Lumières” qui pourtant les ont rejetés. Mais il arrive très souvent que les fondateurs soient ignorés et, plus encore, rejetés par leurs successeurs qui y gagnent un brevet d’invention. Staline fusillait tous ceux qui avaient de bonnes idées pour s'en proclamer l'auteur. Bien qu'athée, il s'inscrivait ainsi dans une longue tradition religieuse.

Merci d'avoir affirmé votre point de vue. Cela montre que vous êtes ouverte et cherchez la discussion. Mais puisque vous êtes juive (et même si vous ne l'étiez pas), merci aussi de ne pas donner aux antisémites les bâtons pour nous battre. Même les bâtons de pacotilles peuvent faire des ravages, s'ils sont maniés par des foules nombreuses et déchaînées.

Gérard Shmouel Feldman

Secrétaire Général du CCJSV