« Un Billet de Shmouel Feldman » –
Le 17 février 2022, un piéton fut percuté par un tramway à Bobigny. Le malheureux avait « traversé les voies hors du passage piéton » réservé à cet effet (RATP). Après une lourde enquête menée par la famille, et des informations parvenues à la police, nous apprendrons, un mois plus tard, que le jeune homme de 31 ans avait cherché à fuir un lynchage en règle, perpétré par un groupe de voyous. Le 14 avril 2022, deux hommes sont placés en détention provisoire. L'enquête requalifie les faits : «« violences volontaires en réunion ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Elle se poursuit. La victime s'appelle Jérémie Cohen. D'après ses proches, celui-ci portait habituellement une kippa qu'il avait sur lui au moment des faits. Silence.
En mai 2022 René Hadjaj, 90 ans, membre de la communauté juive de La Duchère, est jeté par la fenêtre de son logement du 17ème étage à Lyon 9ème. Le procureur s'est d'abord efforcé d'exclure toute motivation antisémite. Il penchait pour un conflit de voisinage qui aurait mal tourné. Pas de quoi alerter l'opinion. La famille elle-même n'a pas voulu « faire d'histoires ». Le quartier est dangereux pour les Juifs. La synagogue de la Duchère comprend. Malgré ce profil bas destiné à ne pas enflammer la situation, le magazine Tribune Juive du 6 septembre 2022 rapporte les propos d'un site intitulé « Presse Algérienne Citoyenne | Aldjazair.org ». Une certaine Salima Morsli justifie la défenestration du vieil homme par le fait qu'il s'agirait d'un “sioniste déchaîné”, postant des appels à “exterminer les Arabes”. Le profil de l'accusé aidant, le procureur ne peut plus fermer totalement la porte à un crime antisémite. Silence.
Liyahou Haddad, âgé de 44 ans, a été assassiné le 19 août dernier à Longperrier à coup de hache. « Le parquet de Meaux a précisé qu'aucun « élément antisémite » ne figurait lors de l'ouverture de l'enquête, qui a démarré le 23 août », selon le journal « Times of Israël ». Silence.
Ces trois victimes – que leur mémoire soit bénie – marquent une gradation supplémentaire dans l'indifférence qui accueille aujourd'hui les meurtres de Juifs en France. Les assassinats de Sarah Halimi et de Muriel Knoll avaient encore suscité quelques manifestations de protestation. Clairsemées certes, mais elles existaient. Maintenant plus rien.
Mais, ce n'est pas tout…
Le 2 juin dernier, Liron Rozenhaft, mari d’Audrey Rozenhaft, candidate « Les Républicains (LR) » aux législatives dans la première circonscription du Bas-Rhin (Strasbourg) est roué de coups par une dizaine d'agresseurs aux cris de « sale Juif ». Il collait une affiche en faveur de sa femme sur un panneau prévu à cet effet. Il est sérieusement blessé, mais il s'en sort. La réaction des Républicains (LR) sera de protester contre une atteinte à la liberté d'expression. Toujours le silence.
Toujours à Strasbourg, le 4 septembre au matin, un Juif en habit traditionnel est agressé par un cycliste alors que lui-même circulait à vélo. Il est à l'hôpital dans un état grave.
La liste des Juifs tués ou blessés en France parce qu'ils sont Juifs s'allonge démesurément. Plus elle s'allonge et plus le silence les engloutit malgré, parfois, quelques protestations de formes. Le profil arabo-musulman des agresseurs dans tous les cas mentionnés est ignoré. Certes, la haine des Juifs reste minoritaire, les passages à l'acte encore plus, mais l'indifférence qui les permet croît.
Habituellement les médias se délectent des faits divers. Le plus banal d'entre eux est décortiqué avec minutie…comment ne pas s'efforcer d'attirer le chaland avec des détails croustillants ? Mais ici, rien. Rien que le silence si on excepte les médias juifs. Et encore pas tous, pas toujours. Les parquets font profil bas et s'empressent avant tout d'exclure toute motivation antisémite… quitte à l'envisager par la suite.
Cette lourde impression est confirmée par un récent et très intéressant sondage de mars 2022. Il a été mené avec l'IFOP ( Institut Français d’Opinion Publique), à l'initiative de l'American Jewish Committee (ACJ). Il est possible de lire ce sondage en entier sur le site de l'AJC.
Pour prendre un exemple significatif, les sondeurs ont répertorié 8 grands archétypes antisémites. Ils demandent aux personnes sondées si elles sont d'accord avec ces archétypes, si elles les désapprouvent ou si elles ne savent pas. On y voit que les réponses varient selon les origines et les cultures.
Globalement, on constate qu'une minorité non négligeable les approuve, mais surtout qu'une partie significative des sondés affirme « ne pas savoir ». Pour donner des exemples : seulement 10% des sondés pensent que les Juifs sont responsables des crises économiques, mais 35% ne savent pas. Seulement 19% pensent que les Juifs ont trop de pouvoir, mais 34% ne savent pas.42% ne pensent pas que les Juifs tirent profit de la Shoah, mais 28% ne savent pas, etc.
Si on ajoute ceux qui approuvent les propos antisémites et ceux qui ne savent pas, on obtient souvent une majorité ou une très forte minorité : 92% pour dire que les Juifs sont plus unis que les autres ; 58% pour dire qu'ils profitent de la Shoah ; 55% pour dire que les juifs sont plus riches ; entre 51 et 58 % pour dire qu'ils ont trop de pouvoir selon les sphères désignées de la société et quand même 44% pour dire qu'ils sont responsables des crises économiques !
On comprend dès lors pourquoi les mots d'ordre antisémites dans les manifestations de gilets jaunes ou des anti-vaccins n'ont choqué personne, et surtout pas ceux qui manifestaient à leurs côtés sans nécessairement se sentir eux-mêmes antisémites. Ils ne savaient pas, comme disaient les Allemands pendant la Shoah !!
On comprend aussi la chape de plomb qui entoure les crimes et agressions contre les Juifs. La société française ne veut pas savoir « pour ne pas diviser la société » et beaucoup de Juifs eux-mêmes ont peur de le faire savoir. Pourtant dans le même sondage on apprend que 42% d'entre eux ont subi des attaques verbales, 17% des intimidations, 10%des dommages sur leurs biens, 8% des attaques physiques.
Dans ces conditions, la lutte contre l'antisémitisme devient un véritable défi dont il importe plus que jamais d'analyser les causes réelles et actuelles, y compris dans leurs spécificités françaises, pour véritablement le combattre.